BackUp

Stéphane Desienne
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Epub

60. Nairobi

La rue est bondée. Les klaxons, la foule, les odeurs de friture, rien ne change. Sauf une chose : l'Afrique a relevé la tête. Elle est devenue terre d'accueil. Une puissance.

Aaron et son comparse déjeunent en terrasse.
— Je dois contacter ma fille.
— Comment ?! Bus-1 est en black-out.
Aaron sourit.
— Pas totalement.
Neal réagit:
— Les BackUp continuent !
Puis, son visage change, son front se ride.
— Vous allez le faire ?
— Je ne crois pas avoir le choix.

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61. BUS-1

— Je n'ai pas ce que vous cherchez.
À peine prononcées, elle regrette ses paroles. Baker la braque. La détonation vrille les tympans. La balle traverse sa cuisse.
Elle ne sent rien mais le choc la fait gémir. Son sang macule le pont.

Viola sort de ses gongs.
— Vous êtes malades !
Baker attrape son bras, la ramène à lui. Il pose le canon sur sa tempe. Tous se crispent. Brett, Evans prêts à bondir.

— On se calme ! lance Baker.
Puis il regarde Tammy:
— Alors ?

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62. Nairobi

Les Deruyter sont des réfugiés hollandais. Leur pays n'existe plus, englouti par la marée du siècle de 2089.
Annie, une ancienne de BackUp inc, les reçoit dans sa modeste demeure

— T'es certain ? glisse Neal.
— La vie de ma fille, le sort de l'humanité sont en jeu.
Aaron sourit à Annie qui apporte un plateau avec du thé. Et une trousse de secours. Il en vérifie le contenu.
— Ça fera effet une dizaine d'heures. Comme si tu étais...
— Mort, complète-t-il.

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63. BUS-1

— J'ai ce que vous cherchez.
Ces paroles aussi, elle les regrette. Evans la fusille d'un regard. Brett ouvre la bouche, estomaqué.
— Bien, fait Baker. Donnes le.
— Il n'est pas sur moi.
Un homme la fouille quand même.
— Il est à mon poste, dans le moyeu.
Viola la supplie du regard.

Les maths sont contre Baker : 15 prisonniers, 4 soldats. Un 5ème garde son vaisseau. Un choix s'impose.
— Mark, tu l'accompagnes.
Baker s'approche :
— Pas d'entourloupe, sinon...

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64. Nairobi

Assis à l'arrière du pick-up, Aaron prépare le matériel : une dose pour l'implantation du Back-Up et une seconde, sous le regard inquiet de son ami.
— Tu ne peux pas rester, lui dit-il.
Neal ne proteste pas. Il pose une main sur son épaule.
— Bonne chance, patron.

La première dose, il se l'injecte à la base du cou. Les nano-sphérules filent vers le siège des souvenirs. Une fois installées, la compilation débute. Elles cherchent un signal, au-delà du ciel.

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65. BUS-1

Tam flotte dans le moyeu, dans son ombre, l'homme la suit, la mate, fusil au poing. Ses afficheurs diffusent toujours le même message d'un rouge interdit.
Elle retire la sauvegarde du plateau de lecture, puis se tourne vers lui :
— Vous avez des proches disparus ?
Il hausse un sourcil.
— Pas assez riches pour payer un Back-Up.
Elle lui sourit, le fixe. Dans son dos, sa main traîne, fouille, trouve sa surprise et la branche.
— On y retourne, ordonne-t-il.

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66. BUS-1

Viola glisse une main rassurante sur sa cuisse bandée. Baker lit la sauvegarde sur son écran. Puis il la regarde d'un air contrarié.
— Ce BackUp est chiffré.
Elle le confirme. Evans intervient :
— On ne conserve pas les clés de chiffrement ici.
En réponse, un coup de crosse éclate sa pommette. Du sang tombe au sol.
— Je parle à l'handicapée noire, assène Baker avant de s'éclipser.

— Où il va ? murmure Brett.
— À son vaisseau, prendre ses ordres, répond Tam.

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67. Paris-Dôme.

Le signal capté est clair, le code sans ambiguïté. L'homme se sert un verre.
— Ce salopard de Tusk n'est pas mort. Il se planque à Nairobi ! annonce-t-il.
Les équipes d'interception sont déjà en route. Le magnat a d'autres personnes à prévenir, autour de la Lune.

— Tusk va envoyer un Back-Up, avec une clé de chiffrement. Réceptionnez la.
Baker lui répond avec 3 secondes de décalage.
— Bien reçu !
Fortunée Nairobi... Tusk s'y croit à l'abri. Il a tort.

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68. Nairobi

Aaron s'allonge sur la banquette tandis que ses souvenirs fuient son esprit. Ce back-up est également chiffré. Tammy possède la clef qui donnera accès à celle qui libérera la mémoire de Frank et peut-être l'humanité.
Sa main saisit la seconde seringue pneumatique. Ses pensées traversent l'Afrique, vers l'Ouest, puis l'Atlantique, jusqu'à New-York où il imagine Elsie assise sur un toit, avec une immense étendu d'eau pour horizon.
Les reverra-t-il un jour ?

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69. BUS-1

Baker revient, il paraît déterminé, le regard allumé. Pas un bon signe. Il se plante devant elle. Evans, Brett, Viola, tous sont à cran.
— Je dois accéder à un autre back-up.
— Mon poste est verrouillé, lui répond Tam.
Le type appelle son complice dans le vaisseau. Puis, il se tourne vers Mark.
— Tu l'accompagnes.
— Je dois aussi avoir la référence de ce Back-Up, précise-t-elle.
Baker lui tend un bout de papier, la jauge à nouveau.
— Pas de conneries, vu ?

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70. Nairobi

L'attente est longue.
Plus on attend, plus on cogite. Aaron rumine sur son passé. Ses souvenirs. Ceux de sa fille, à Dar-es-Salaam, avant la catastrophe de Miami, avant que lui même disparaisse de la circulation.

Son retour signe la fin de la fuite.
Un bruit de rotor, celui d'une turbine, il applique la seringue au creux de son bras, puis il presse la détente.

Aaron sombre instantanément. Autour du véhicule, les ombres se pressent. Armées et nerveuses.

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71. BUS-1

Comme la fois précédente, l'homme la suit. La mate.
— Tes jambes, c'est arrivé sur Terre ?
Tammy répond en 1 mots :
— Miami.
Pas la peine d'en rajouter.

Arrivée à son poste, les écrans affichent en un méli-mélo de fenêtres remplies de code. La levée du black-out a libéré sa surprise, elle se propage vite.
— Qu'est-ce que... lâche Mark.
Tammy sourit.
Puis la station entière plonge dans le noir. Partout les lumières s'éteignent. La roue d'arrête de tourner.

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72. Paris-Dôme.

Sur la projection, l'homme paraît paisible. Endormi.
— Il s'est injecté ça, déclare un commando qui agite une fiole devant la caméra.
— Combien de temps ?
— Il va faire le mort pendant 10 heures.

Le magnat enrage. Son poing manque de frapper la console. Impossible de l'interroger durant les 10 prochaines heures.
Ce n'est pas un hasard. Aaron a toujours été un petit malin.

Il appelle Baker, mais ce dernier ne répond pas.
Que se passe-t-il là haut ?

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73. BUS-1

Le tir provoque un éclair. La balle se perd sans traverser la coque, ni sa chair. Grâce au flash, elle voit Mark. Dans le sas. Et l'arbalète de Brett, jouet dérisoire. En une fraction de seconde, sa décision est prise.
Elle vole en aveugle, sa main agrippe une suspente, l'autre le jouet.

— Salope de négresse ! lance Mark en tirant à nouveau.
À l'impact, des étincelles, de la lumière. Tam vise. La fléchette ventouse file vers le bouton de fermeture du sas.

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74. BUS-1

Dans un claquement, le sas se referme sur le bras de Mark, obligé de lâcher son fusil. Tammy l'entend hurler, proférer des insanités.

Sa surprise est l'œuvre des chinois. À Jiuquan, ils ne lui ont pas apporté qu'un soutien. Parfois, elle reçoit des demandes spéciales.
Concernant des souvenirs de dignitaires, d'hommes influents.
Personne ne sait. Pas même Viola.

Tammy vole dans le noir, file vers le seul poste encore opérationnel, épargné par la surprise.

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75. BUS-1

La console ronronne quand elle passe son badge devant le capteur. Le papier de Baker en main, elle lance une recherche.
Ce back-up est chiffré, comme le précédent, mais les métas ont été altérés : 15032091.
La date de son adoption par les époux Tusk, Aaron et Martha, stérile. Elle avait 5 ans.

La référence irradie ses neurones.
— Pas une coïncidence, se répète-t-elle. Pas une coïncidence...
Elle essuie sa joue humide et plonge dans ses souvenirs d'enfance.

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76. BUS-1

15 mars 2091
Tammy est l'une des 34 000 enfants du camp de réfugiés climatiques américains de Tijuana, au sud de la frontière mexicaine.
Orpheline, elle est inscrite d'office sur la liste des adoptions.

Car, il y a urgence : isolés, les plus jeunes sont en danger de mort.

Ce jour-là, elle rencontre ses parents pour la première fois. Elle se souvient mot pour mot, des paroles de sa mère : "Je t'ai attendue, tu es là, enfin, ma perle."

Tammy tape la phrase.

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77. BUS-1

La phrase clef libère l'accès au back-up de... son père. Son cœur manque des battements. Durant plusieurs secondes, ses membres son figés, gelés, son sang déserte ses artères. Une vague glacée s'empare de ses chairs, le froid brûle jusqu'à ses os. Ses lèvres bougent à peine.
— Papa...
Un back-up est encodé avec l'ADN du porteur, il était donc vivant. Il n'y a pas longtemps. Les larmes roulent sur sa peau.
— Ma chérie, entend-elle, j'ai une mission pour toi.

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78. BUS-1

— Frank a créé un transplant chiffré. Voici la clef de décodage, ne la note pas, mémorise là. Ensuite, détruit mon back-up.
Détruire les souvenirs de son père...
— Encore une chose, ma chérie. Il existe une section spéciale sur Bus-1, c'est là que tu dois connecter le back-up de Frank.

Soudain, l'écran change, la voix de Baker résonne :
— Je sais que tu es là. Mon flingue est sur le crâne de ta copine, Viola. Tu as 10 minutes.
Tammy s'arrête de respirer.

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79. BUS-1

Tammy règle son chrono sur 10 minutes, puis elle vole. Très vite, elle atteint le cylindre de 8 mètres par 3. Les secondes défilent, elle cherche l'ouverture, déplace des caisses qui partent à la dérive. La trappe se trouvait derrière, hors de vue. Elle l'ouvre.
Un court boyau mène à un autre cylindre en partie inondé : une zone de sauvegarde inconnue.

Un afficheur brille dans coin, cette installation fonctionne sur un circuit séparé.
Son estomac se noue.

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